Sa démolition ne peut toutefois être ordonnée que si trois conditions cumulatives sont réunies :
Sans certitude ni consensus sur le sujet, plusieurs juridictions avaient fait application de la prescription trentenaire à cette action (par exemple : CAA Lyon, 28 juillet 2022, n°22LY00971 ; CAA Nancy, 16 mars 2021, n°20NC00531).
Ce qui serait revenue à « une forme d’intangibilité absolue après 30 ans alors que le principe a évolué » suite à l’abandon du principe d’intangibilité des ouvrages publics, comme le soulignait Dorothée Pradines dans ses conclusions sur la décision commentée du Conseil d’Etat (CE, 27 septembre 2023, ENEDIS, n°466321, Lebon T).
Le Conseil d’Etat tranche ce débat et juge que l’action en démolition d’un ouvrage public n’est soumise à aucun délai de prescription :
“ (…) 4. Aux termes de l’article 2227 du code civil : « (…) les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. L’invocation de ces dispositions du code civil au soutien de l’exception de prescription trentenaire opposée par la société Enedis était donc inopérante. Ce motif devant être substitué au motif par lequel l’arrêt attaqué juge non fondée cette exception, il y a lieu, par suite, d’écarter les moyens de cassation dirigés contre le motif retenu par la cour administrative d’appel de Versailles. (…) » (CE, 27 septembre 2023, ENEDIS, n°466321, Lebon T).
Les ouvrages public irrégulièrement implantés peuvent donc faire l’objet d’une action en démolition passé 30 ans après leur implantation.
La condition tenant à l’écoulement temps n’est toutefois pas totalement écartée puisqu’elle est désormais intégrée dans le bilan des intérêts en présence :
« (…) 3. Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l’écoulement du temps, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général. (…) » (CE, 27 septembre 2023, ENEDIS, n°466321, Lebon T).
Autrement dit, « l’écoulement du temps pourra, selon les cas, jouer pour ou contre le maintien de l’ouvrage. » (conclusions D. Pradines sur CE, 27 septembre 2023, ENEDIS, n°466321, Lebon T).
L’absence de délai de prescription sur l’action en démolition d’un ouvrage public ne signifie donc pas que cette action prospérerait nécessairement malgré l’écoulement du temps entre la date d’implantation de l’ouvrage et celle de l’introduction de l’action.
Si une action devait être ordonnée en ce sens des années après une longue période de jouissance du bien impacté par l’ouvrage public, la démolition ne serait que peu probablement ordonnée, sauf, peut-être, à ce que de nouveaux inconvénients soient apparus entre temps pour le propriétaire.
Lorsqu’elle est ouverte, il convient donc d’introduire l’action en démolition sans attendre.