L’offre de l’association Imedi n’a été retenue qu’en troisième position, derrière la société Tradilibre et l’association MEDIMMS interprétariat.
L’accord-cadre prévoyait l’attribution des bons selon la méthode dite « en cascade » qui consiste à faire appel en priorité aux titulaires les mieux-disants.
Autrement dit, lorsque l’acheteur souhaite émettre un bon de commande pour une prestation, il doit d’abord solliciter l’attributaire classé en première position et si celui-ci n’est pas en mesure de répondre, il doit d’adresser à l’attributaire classé en deuxième position. Le troisième attributaire n’est contacté que si ces deux opérateurs ne peuvent pas assurer la prestation.
C’est dans ce contexte que l’association Imedi a formé devant le TA de Bordeaux, un recours en contestation de la validité de l’accord-cadre, en tant qu’il a été attribué aux deux autres opérateurs.
Par un jugement avant-dire droit en date du 12 mai 2023, le TA de Bordeaux a, par application des dispositions de l’article L.113-1 du code de justice administrative, saisi le Conseil d’État pour avis en lui soumettant les deux questions suivantes :
« 1°) Appartient-il au juge du contrat, saisi de conclusions en ce sens par l’un des titulaires d’un accord-cadre multi-attributaire à bons de commande, notamment dévolus par une méthode dite » en cascade « , de prononcer l’annulation ou la résiliation de cet accord-cadre en tant qu’il a été conclu avec un ou plusieurs de ses autres titulaires, alors qu’une telle annulation ou résiliation aurait pour effet de ramener le nombre des titulaires de cet accord-cadre à un nombre inférieur à celui fixé en vertu des dispositions du règlement de la consultation publié pour la passation du contrat en litige voire à aboutir à ce que seul l’un de ses titulaires en assure l’exécution ‘
2°) Les irrégularités constatées par le juge du contrat saisi d’un recours en contestation de la validité d’un accord-cadre multi-attributaire formé par l’un de ses titulaires, alors même qu’elles ne porteraient que sur la candidature ou sur l’offre de l’un de ses titulaires, peuvent-elles le conduire à prononcer l’annulation ou la résiliation totale de l’accord-cadre en litige »
Cette demande d’avis contentieux pose en réalité la question de la recevabilité du recours de l’un des titulaires de l’accord-cadre en contestation de la conclusion d’un contrat avec un autre attributaire.
Dans ses conclusions, Monsieur Nicolas LABRUNE, rapporteur public sous cette décision, revient sur la nature d’un accord-cadre multi-attributaires à bons de commande.
A cet égard, il propose de considérer qu’il y a « derrière un instrumentum unique, plusieurs ensembles distincts d’obligations contractuelles réciproques, de sorte que l’accord cadre doit être regardé comme composé en réalité de plusieurs contrats conclus chacun avec un opérateur » (Conclusions Monsieur Nicolas LABRUNE, rapporteur public).
L’accord-cadre à bons de commande doit ainsi être regardé comme composé d’autant de contrats qu’il y a d’attributaires, « ces contrats n’étant liés que par les modalités de leur exécution, qui sont toutes régies par la méthode de répartition des bons de commande choisie (par exemple en « cascade » ou à tour de rôle) » (Conclusions Monsieur Nicolas LABRUNE, rapporteur public).
Pour répondre aux questions soulevées devant le Conseil d’État, le rapporteur public propose de retenir que « l’accord-cadre multi-attributaires est la forme unique que prennent plusieurs contrats distincts » (Conclusions Monsieur Nicolas LABRUNE, rapporteur public).
Dans sa décision en date du 24 novembre 2023, le Conseil d’État rappelle le considérant de principe de la jurisprudence « Tarn-et-Garonne » (CE, 4 avril 2014, req. n°358994) :
« Tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. »
En réponse à la première question posée par le TA de Bordeaux, le Conseil d’État indique que :
« Lorsqu’un accord-cadre est conclu avec plusieurs opérateurs économiques, chacun de ses titulaires doit être regardé, pour l’exercice de l’action en contestation de la validité du contrat, comme un tiers à cet accord en tant que celui-ci a été conclu avec les autres opérateurs. »
Ainsi, « saisi par l’un des titulaires d’un recours en contestation de la validité de l’accord-cadre en tant qu’il a été conclu avec d’autres opérateurs économiques » et si les conditions de recevabilité posées par la jurisprudence « Tarn-et-Garonne » sont satisfaites, « le juge du contrat peut prononcer, le cas échéant, la résiliation ou l’annulation de cet accord en tant qu’il a été attribué à ces autres opérateurs dès lors qu’il est affecté de vices qui ne permettent pas la poursuite de son exécution. »
Il considère à cet égard que :
« La circonstance qu’une telle annulation ou une telle résiliation aurait pour effet de ramener le nombre des titulaires de cet accord-cadre à un nombre inférieur à celui envisagé par le règlement de la consultation est sans incidence sur la possibilité pour le juge de la prononcer. »
A la seconde question posée par le TA de Bordeaux, le Conseil d’État précise que :
« Lorsqu’il est ainsi saisi de conclusions contestant la validité de l’accord-cadre en tant qu’il a été conclu avec certains opérateurs économiques, le juge du contrat ne peut prononcer la résiliation ou l’annulation de l’accord-cadre dans son ensemble. »
Prononcer la résiliation ou l’annulation de l’accord-cadre dans son ensemble, alors que le juge est saisi de conclusions contestant la validité de l’accord-cadre en tant seulement qu’il a été conclu avec certains opérateurs économiques reviendrait à statuer ultra petita.
Or, comme évoqué précédemment, dans le cadre d’un accord-cadre multi-attributaires, il y a lieu de considérer la présence de plusieurs contrats distincts. « Le juge ne saurait donc aller au-delà des conclusions dont il est saisi en annulant ou résiliant un contrat qui, en réalité, n’est pas contesté » (Conclusions Monsieur Nicolas LABRUNE, rapporteur public).
En conclusion :