La densification des zones urbaines s’accompagne souvent de nouvelles constructions qui altèrent la vue, l’ensoleillement ou l’intimité des habitations voisines. Mais peut-on invoquer la perte de vue comme un trouble anormal de voisinage, ouvrant droit à réparation ?
La Cour de cassation rappelle que l’appréciation de l’anormalité du trouble de voisinage doit se faire à la lumière de l’environnement dans lequel la construction s’insère. Il appartient au juge de rechercher si l’urbanisation de la zone où se trouve l’immeuble n’est pas de nature à écarter l’existence d’un trouble anormal.
Tiré de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. civ. 2ème, 19 novembre 1986, n°84-16.379), le principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » a récemment été codifié à l’article 1253 du code civil par la loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels :
« Le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte »
Il s’agit d’une responsabilité de plein droit. Il n’est donc pas nécessaire de prouver une faute de son auteur. Seule doit être démontrée l’anormalité du trouble, c’est-à-dire le caractère suffisamment grave ou répété du trouble pour excéder les inconvénients normaux du voisinage.
Il est de jurisprudence constante que l’appréciation de l’anormalité du trouble s’apprécie au regard de la localisation des immeubles.
Ainsi a-t-il déjà été jugé par la Cour de cassation que la perte de vue ne caractérisait pas un trouble anormal dans le contexte d'un milieu urbanisé :
« 8. Ayant relevé que la propriété de M. et Mme [G] est implantée en zone urbanisée et est entourée d’immeubles d’habitation, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième et troisième branches, en a souverainement déduit l’absence de trouble anormal de voisinage » (Cass., civ. 3ème, 25 mai 2023, n° 22-15.453)
« 5. Ayant ainsi fait ressortir que nul n’était assuré, en milieu urbain ou en voie d’urbanisation, de conserver son environnement qu’un plan d’urbanisme pouvait toujours remettre en cause, elle en a souverainement déduit que la perte de vue, dont rien ne démontrait la nature d’intérêt ou le caractère d’exception, ne caractérisait pas, dans ces circonstances, l’anormalité du trouble invoqué » (Cass., civ. 3ème, 9 nov. 2023, n° 22-15.403)
Dans le cas présent, un propriétaire a obtenu un permis de construire pour l’extension de sa villa. Après obtention du rejet des recours en annulation du permis de construire obtenu, il a débuté ses travaux.
Des propriétaires de l’immeuble voisin l’ont assigné, se plaignant subir divers troubles de voisinage tenant notamment à une perte d’ensoleillement et une perte de vue.
La Cour d’appel retient l'existence d'un trouble anormal de voisinage à raison de la limitation de la vue.
« L'arrêt relève qu'alors que la distance entre les deux bâtiments était à l'origine de 7,58 mètres, elle a été réduite à 4 mètres par la construction du mur pignon de l'immeuble de M. [X] [C] et Mme [Z] [C], que cette construction limite ainsi de manière significative la vue dont Mme [M] et les consorts [E]-[P]-[B] disposaient précédemment depuis leur balcon, et qu'il est incontestable que cette limitation affecte les conditions de jouissance et la valeur immobilière de leurs biens, de sorte que le trouble anormal de voisinage est caractérisé » (Cass. civ. 3ème, 27 mars 2025, n°23-21.076)
La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel en ce qu’il a dit que la limitation de la vue constituait un trouble anormal de voisinage.
Elle considère que cette dernière n’a pas examiné l’environnement dans lequel la construction a été réalisée.
« 9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'urbanisation de la zone où se trouvaient les immeubles n'était pas de nature à écarter l'existence d'un trouble anormal, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision (Cass. civ. 3ème, 27 mars 2025, n°23-21.076)
L’anormalité du trouble peut donc être écartée en fonction de la localisation du bâtiment en milieu urbanisé.
La perte de vue seule ne suffit donc plus à fonder une action en trouble anormal de voisinage, en zone urbaine.
Il sera d’autant plus difficile d’obtenir dans ce contexte une indemnisation du maître d’ouvrage, à moins de démontrer l’existence de troubles excessifs et cumulatifs.