Dans une décision du 15 juillet 2025, le Conseil d’Etat rappelle le régime de responsabilité des acheteurs publics en cas de déclaration sans suite pour motif d’intérêt général.
A titre liminaire, rappelons que « l’acheteur peut, à tout moment, déclarer une procédure sans suite » (article R.2185-1 du code de la commande publique).
« Lorsqu’il déclare une procédure sans suite, l’acheteur communique dans les plus brefs délais les motifs de sa décision de ne pas attribuer le marché ou de recommencer la procédure aux opérateurs économiques y ayant participé » (article R.2185-2 du code de la commande publique).
La déclaration sans suite peut être motivée par l’infructuosité ou par tout autre raison d’intérêt général.
La déclaration sans suite pour motif d’intérêt général s’applique à tous les marchés publics et peut être de différentes natures : économique, juridique ou technique.
Dans le cas présent, une commune a engagé une procédure de mise en concurrence en vue de l’attribution de traités de sous-concession du service public balnéaire sur une plage dont elle était concessionnaire.
La procédure d’attribution de l’un des lots a été annulé à deux reprises par le juge des référés saisi de référés pré-contractuels en ce sens.
A la suite de ces annulations, « tant la commission de délégation de service public que la commune ont estimé qu’aucune offre ne pouvait être considérée comme conforme au dossier de consultation des entreprises et que les motifs de non-conformité, qui concernaient des éléments essentiels de la concession, ne pourraient faire l’objet de corrections au cours d’une phase de négociation que sur une base juridique fragile ». (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)
La déclaration sans suite pour motif d’intérêt général constitue un abandon de procédure, qui n’est pas de nature à engager la responsabilité pour faute de la personne publique à l’origine de la procédure de passation.
Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que :
« 3. Une personne publique qui a engagé une procédure de passation d’un contrat de concession ne saurait être tenue de conclure le contrat. Elle peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d’intérêt général. Cette décision n’est pas de nature à engager sa responsabilité pour faute. » (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)
En l’espèce, la Cour administrative d’appel a jugé que la commune « avait ainsi justifié de l’existence d’un risque juridique constitutif d’un motif d’intérêt général et n’avait pas commis de faute engageant sa responsabilité en déclarant la procédure de passation du lot en litige sans suite pour un tel motif. » (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)
Ce que confirme le Conseil d’Etat :
« 8. En jugeant que la prise en compte de la servitude résultant du cône de visibilité mentionné au point 6 induisait une modification de l’étendue géographique du lot n° E1 telle qu’elle ne pouvait être regardée, sans risque juridique, comme étant de portée suffisamment limitée pour être admise dans le cadre de la négociation, alors notamment que la procédure avait déjà été annulée deux fois au stade de l’examen des offres, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas dénaturé ni inexactement qualifié les faits de l’espèce.
9. En deuxième lieu, en jugeant que le motif mentionné aux points 6 et 8, tiré d’un fort risque juridique fragilisant la procédure de passation, constituait un motif d’intérêt général de nature à permettre, ainsi qu’il est dit au point 3, à la commune de Ramatuelle de renoncer à poursuivre cette procédure et à conclure le contrat, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce. » (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)
Le Conseil d’Etat rappelle toutefois que l’abandon de procédure peut être de nature à engager la responsabilité de la personne publique en cas de fautes commises dans le cadre de la procédure de passation.
« 4. Dans une telle hypothèse, la responsabilité de la personne publique peut toutefois être mise en cause lorsqu’elle a, au cours de la procédure de passation, commis des fautes, par exemple en incitant un ou des candidats à engager des dépenses en pure perte ou en leur donnant, à tort, l’assurance que le contrat serait signé. Dans ce cas, le candidat peut prétendre à la réparation des préjudices imputables à ces fautes, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes. » (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)
En l’espèce, la Cour administrative d’appel a « retenu deux fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Ramatuelle à l’égard de la société Ferry, tenant, d’une part, à l’ignorance délibérée, dans les documents de la consultation, des contraintes urbanistiques qui s’appliquaient sur le site de la sous-concession en litige, résultant d’un cône de dégagement visuel institué par le schéma d’aménagement de la plage de Pampelonne destiné à préserver la vue sur la mer depuis le chemin de l’Epi qui mène à la plage, conduisant nécessairement les candidats à proposer des offres méconnaissant ces contraintes, et, d’autre part, à avoir incité la société Ferry, alors attributaire du lot n° E1, à engager des frais pour la constitution d’un dossier de demande de permis de construire. » (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)
Ce que confirme le Conseil d’Etat qui considère :
« (…) qu’en jugeant que la circonstance que la procédure de déclaration sans suite était justifiée par le motif d’intérêt général mentionné au point 9 ne faisait pas obstacle à ce que la société Ferry recherche la responsabilité de la commune de Ramatuelle au titre de fautes qu’elle lui imputait dans la procédure de passation en vue d’obtenir l’indemnisation des frais qu’elle a exposés en pure perte, d’une part, pour soumissionner et, d’autre part, après l’attribution du contrat, pour la préparation du dossier de demande de permis de construire, la cour n’a pas commis d’erreur de droit. (…)
16. En troisième lieu, en jugeant que les préjudices de la société Ferry, qu’elle a condamné la commune de Ramatuelle à réparer, étaient directement liés aux fautes commises par cette dernière dans la procédure de passation du contrat et dans l’incitation de cette société à engager des démarches en vue de déposer une demande de permis de construire sans attendre la signature du contrat, la cour administrative d’appel de Marseille, qui a ainsi recherché, contrairement à ce que soutient la commune requérante, l’existence d’un lien de causalité direct entre ces fautes et les préjudices dont cette société demandait réparation, n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce. » (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)
Il n’existe aucun droit à la conclusion d’un contrat, quand bien même une telle assurance aurait été donnée par l’acheteur public.
Le Conseil d’Etat rappelle que la perte du bénéfice que le candidat pressenti escomptait de l’opération ne saurait, en toute hypothèse, constituer un préjudice indemnisable :
« 5. En revanche, la perte du bénéfice que le partenaire pressenti, qui ne peut se prévaloir d’aucun droit à la conclusion du contrat, escomptait de l’opération ne saurait, en toute hypothèse, constituer un préjudice indemnisable. » (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)
Il considère par conséquent que :
« (…) la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que, dès lors que la procédure de passation avait été déclarée sans suite pour le motif d’intérêt général mentionné au point 9, la société Ferry ne pouvait prétendre à être indemnisée du gain manqué dont elle se prévalait. » (CE, 15 juillet 2025, n° 491624)